OPINION

COURIR POUR SOI, PAS POUR LES AUTRES

CourirEnEstrie a deux objectifs : faire découvrir la course à pied et promouvoir l’activité physique en redonnant à la communauté. C’est à la base même de la mission de l’OSBL qui gère CourirEnEstrie. Cet OSBL s’appelle Les Courses Tempus Fugit, qui veut dire « le temps fuit » en latin.

Une façon de permettre aux gens de découvrir la course à pied est d’organiser des événements de qualité au plus bas prix possible. Or, si on veut assurer la pérennité d’un événement, ce bas prix ne peut pas être « gratuit ».

Quand je vois des prix d’inscription que je considère élevés, je m’indigne. Lorsque j’ai lancé CourirEnEstrie, je n’ai jamais pensé que la course à pied deviendrait une véritable industrie, sinon j’aurais démarré une entreprise, pas un OSBL. Cinq ans plus tard, le monde de la course à pied est rendu un business, avec tout ce que ça apporte de bien et de mauvais. Le bon côté, c’est que la compétition nous force à être meilleurs et à innover. Le mauvais, c’est que certains se gavent à tous les râteliers.

Voici quelques aspects commerciaux de la course à pied qui me dérangent :

• les prix exagérés de certaines courses;

• les faux philanthropes qui s’associent à des causes, mais qui demandent un cachet pour être sur le site de l’organisation, parce que ça donnera de la visibilité à l’organisation;

• les « leaders » de groupes Facebook et autres, qui incitent les gens à aller courir certaines courses, mais qui reçoivent une rémunération pour chaque personne qu’ils amènent à l’événement. Ceci, évidemment, n’est pas dévoilé aux coureurs qu’ils amènent;

• les porte-parole payés pour des causes charitables.

LES TEMPS MODERNES

Le monde de la course à pied a bien changé depuis que j’ai commencé à courir, il y a plus de 25 ans. Courir, à cette époque, était presque un acte de résistance, de rébellion. Le marathon de Montréal déclinait et courir, c’était tout, sauf une mode. Courir, c’était vivre à contre-courant.

Courir à cette époque se résumait à enfiler une culotte courte, une camisole – parfois en coton –, des bas, des souliers, une casquette et une montre Timex à 20 $. Pas de iPod, de GPS, de bas de compression, de ceinture pour les bouteilles d’eau, de minimalisme, de technique de course, de lunettes polarisées trois couleurs, de médaille clignotante de la grosseur d’un enjoliveur, de t-shirt technique et de selfies. Misère !

On courait pour soi, sans artifices et sans gloire. Notre satisfaction venait du temps personnel qu’on venait d’abaisser, pas du nombre de félicitations reçues sur Facebook après avoir publié les détails d’un entraînement banal du mercredi.

À l’époque, tout le monde se foutait de nos entraînements et personne ne comprenait pourquoi on courait. Je soupçonne que c’est encore le cas aujourd’hui. Malgré mes objections à cette culture du « m’as-tu-vu », je reconnais que c’est l’époque dans laquelle nous vivons. Si ça motive les gens à courir, grand bien leur fasse. Si ça les motive, c’est positif.

DES EFFORTS POÉTIQUES

Cependant, je ne comprends pas ce besoin d’approbation des autres. Pour moi, la course à pied vient d’une motivation intrinsèque. C’est personnel, presque intime. C’est du temps d’une valeur incalculable que je passe seul. Courir, c’est l’ultime dichotomie. On court à la fois avec et contre soi. On court pour battre un temps, alors que le temps fuit et finit toujours par nous rattraper.

La course, c’est le sport le plus naturel pour l’humain, mais aussi le plus difficile. Il y a une beauté presque poétique dans la souffrance et l’effort de la course à pied. Le fait que ce soit difficile est d’ailleurs ce qui en fait la beauté. C’est ce qui fait que je vis des émotions fortes et des sensations incroyables, lorsque je vous vois traverser la ligne d’arrivée à bout de force, en larmes et fiers de ce que vous avez accompli.

Chaque fois que je vous vois traverser la ligne d’arrivée, j’aime croire que je fais partie de votre succès, que je vous ai permis de vous accomplir et que nous sommes complices. Même si ça se traduit rarement sur mon visage les jours de course, vous ne pouvez imaginer combien je suis content de vous voir si fiers et heureux.

La course fait ressortir le meilleur de nous. Elle nous force à puiser au fond de nous-mêmes pour atteindre nos objectifs. Elle nous montre des chemins intérieurs qu’on n’avait jamais visités, qui nous rendent meilleurs et plus forts pour affronter les aléas de la vie.

Le nombre de courses à pied a explosé au Québec récemment et je vois partout des communautés et des municipalités se mobiliser pour organiser des événements pour leurs citoyens. Sincèrement, cela me plaît. Chaque fois que j’y vais, c’est une expérience enrichissante de voir l’émotion des organisateurs qui se dévouent corps et âme pour offrir un beau dimanche matin de course à leurs concitoyens. Il n’y a rien pour battre l’ambiance d’une ligne de départ ou l’émotion d’une arrivée, lorsque le dernier participant croise le fil.

A contrario, le business, qui vient souvent avec, fait ressortir le pire de l’humain. Quand je vois comment certains viennent se servir de tout ce qui est noble dans la course à pied pour le corrompre et le tourner en profit, ça me fâche.